Quand le corps se met à changer, c’est, avec lui, tous les vieux repères qui disparaissent. Rude est alors la tâche des adolescents qui doivent lâcher le terrain connu de l’enfance pour aller vers du neuf dont ils tentent, parfois maladroitement, de désigner les contours. Eclairage sur les "maux" de l’adolescence partagés entre conduites à risques et souffrance psychique.
Mais quel est cet étranger ? La question qui se pose quand vient la puberté n’est pas seulement celle des parents de l’adolescent. Ce corps en pleine métamorphose, cette
personnalité changeante qui cherche ses marques interrogent le jeune tout autant que sa famille. L’interrogent mais surtout le dérangent et l’angoissent. Ce n’est pas rien, en effet, que de quitter les certitudes de l’enfance - l’adolescent sort d’une période de latence qui va de six à douze ans, où il a "déposé" toutes ses inquiétudes -, un corps familier et la confiance quasi aveugle en ses parents et les valeurs qu’ils lui ont transmises !
© Vincent/REA
Vers l’âge de onze ou douze ans, en même temps que se réveille l’hypothalamus, libérant la sécrétion d’hormones sexuelles, l’adolescent doit interrompre la perfusion affective qui l’alimentait. Pour grandir - adolescence vient du latin adolescere, croître -, il doit lâcher le trop connu pour l’inconnu, qu’il va tenter, avec les moyens du bord, de s’approprier.
"La perte et la séparation sont les deux caractéristiques majeures de l’adolescence et de la dépression, résume le psychiatre Stéphane Clergé [1]. C’est pour cela que je dis que la dépression est un passage obligé de l’adolescence." Attention, bien sûr, à ne pas voir en tout jeune une personne malade qui nécessiterait des soins psychiatriques. "Par nature, l’adolescent doit traverser la perte, mais si les fondements affectifs sur lesquels il s’est construit dans son enfance sont solides, il doit pouvoir vivre sans drames cette reconfiguration à la fois psychique, sociologique et physique."
Ce qui n’est pas donné à tout le monde, puisque, comme le montrent les dernières études menées en France [2], 15 % des jeunes Français présentent aujourd’hui des signes tangibles de souffrance psychique. Du repli sur soi à l’adoption de conduites à risques (voir encadré), en passant par le désintérêt pour l’environnement familial, scolaire ou amical, les tentatives de suicide, la consommation d’alcool, l’anorexie ou la boulimie [3], la palette à laquelle recourent les ados pour exprimer leur mal-être est terriblement dangereuse.
Ainsi, 1 000 adolescents se suicident chaque année en France, 7 % font une tentative de suicide [4] et 40 % des décès des jeunes de quinze à dix-neuf ans sont dus à des accidents de la route. Quant à la consommation de produits dangereux qui favorisent l’addiction, elle atteint des taux tout à fait alarmants : les trois quarts des adolescents sont fumeurs, 30 % des filles (11 % pour les garçons) ont eu recours à des psychotropes à l’âge de dix-sept ans et 12,5 % des onze-dix-neuf ans absorbent au moins deux fois par semaine des boissons alcoolisées.
Souffrance psychique : signe des temps ou étape incontournable ?
Que l’adolescence ne soit pas nécessairement le plus bel âge ne fait donc pas de doute. Il reste à savoir si la pénibilité de cette période de la vie est due à sa nature même ou à l’époque dans laquelle nous vivons.
"L’adolescent, par nature, cherche à définir ses propres limites à travers une expérience faite d’essais et d’erreurs, explique Xavier Pommereau, auteur du Rapport sur la santé des jeunes [5]]. Pour se déterminer par rapport aux repères temporels, spatiaux et éthiques fixés par les adultes, il est amené à prendre des risques. Mais toute la difficulté aujourd’hui - et c’est aussi la chance de notre époque - vient de ce que la société s’est affranchie d’un déterminisme qui ne laissait que bien peu de marge aux générations précédentes. Le choix du métier, des valeurs, des inclinations sexuelles, des lieux de résidence ouvre au jeune un champ infini qui peut lui donner le vertige." Le rôle de l’adulte est alors de cadrer cette liberté sans être coercitif et de favoriser l’autonomie sans pour autant sous-estimer les appels à l’aide.
Par Laurence Bernabeu, journaliste
Mais quel est cet étranger ? La question qui se pose quand vient la puberté n’est pas seulement celle des parents de l’adolescent. Ce corps en pleine métamorphose, cette
personnalité changeante qui cherche ses marques interrogent le jeune tout autant que sa famille. L’interrogent mais surtout le dérangent et l’angoissent. Ce n’est pas rien, en effet, que de quitter les certitudes de l’enfance - l’adolescent sort d’une période de latence qui va de six à douze ans, où il a "déposé" toutes ses inquiétudes -, un corps familier et la confiance quasi aveugle en ses parents et les valeurs qu’ils lui ont transmises !
© Vincent/REA
Vers l’âge de onze ou douze ans, en même temps que se réveille l’hypothalamus, libérant la sécrétion d’hormones sexuelles, l’adolescent doit interrompre la perfusion affective qui l’alimentait. Pour grandir - adolescence vient du latin adolescere, croître -, il doit lâcher le trop connu pour l’inconnu, qu’il va tenter, avec les moyens du bord, de s’approprier.
"La perte et la séparation sont les deux caractéristiques majeures de l’adolescence et de la dépression, résume le psychiatre Stéphane Clergé [1]. C’est pour cela que je dis que la dépression est un passage obligé de l’adolescence." Attention, bien sûr, à ne pas voir en tout jeune une personne malade qui nécessiterait des soins psychiatriques. "Par nature, l’adolescent doit traverser la perte, mais si les fondements affectifs sur lesquels il s’est construit dans son enfance sont solides, il doit pouvoir vivre sans drames cette reconfiguration à la fois psychique, sociologique et physique."
Ce qui n’est pas donné à tout le monde, puisque, comme le montrent les dernières études menées en France [2], 15 % des jeunes Français présentent aujourd’hui des signes tangibles de souffrance psychique. Du repli sur soi à l’adoption de conduites à risques (voir encadré), en passant par le désintérêt pour l’environnement familial, scolaire ou amical, les tentatives de suicide, la consommation d’alcool, l’anorexie ou la boulimie [3], la palette à laquelle recourent les ados pour exprimer leur mal-être est terriblement dangereuse.
Ainsi, 1 000 adolescents se suicident chaque année en France, 7 % font une tentative de suicide [4] et 40 % des décès des jeunes de quinze à dix-neuf ans sont dus à des accidents de la route. Quant à la consommation de produits dangereux qui favorisent l’addiction, elle atteint des taux tout à fait alarmants : les trois quarts des adolescents sont fumeurs, 30 % des filles (11 % pour les garçons) ont eu recours à des psychotropes à l’âge de dix-sept ans et 12,5 % des onze-dix-neuf ans absorbent au moins deux fois par semaine des boissons alcoolisées.
Souffrance psychique : signe des temps ou étape incontournable ?
Que l’adolescence ne soit pas nécessairement le plus bel âge ne fait donc pas de doute. Il reste à savoir si la pénibilité de cette période de la vie est due à sa nature même ou à l’époque dans laquelle nous vivons.
"L’adolescent, par nature, cherche à définir ses propres limites à travers une expérience faite d’essais et d’erreurs, explique Xavier Pommereau, auteur du Rapport sur la santé des jeunes [5]]. Pour se déterminer par rapport aux repères temporels, spatiaux et éthiques fixés par les adultes, il est amené à prendre des risques. Mais toute la difficulté aujourd’hui - et c’est aussi la chance de notre époque - vient de ce que la société s’est affranchie d’un déterminisme qui ne laissait que bien peu de marge aux générations précédentes. Le choix du métier, des valeurs, des inclinations sexuelles, des lieux de résidence ouvre au jeune un champ infini qui peut lui donner le vertige." Le rôle de l’adulte est alors de cadrer cette liberté sans être coercitif et de favoriser l’autonomie sans pour autant sous-estimer les appels à l’aide.
Par Laurence Bernabeu, journaliste
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